La facture des externalités négatives liées au transport dans la région de Dakar confirme la pertinence des investissements sur le TER et le BRT
- 3035
La facture des externalités négatives liées au transport dans la région de Dakar confirme la pertinence des investissements sur le TER et le BRT
L’économie sénégalaise perd annuellement 900 milliards de francs CFA du fait des dysfonctionnements induits par la pollution automobile, la congestion, l’insécurité routière et le bruit. Ces pertes correspondent à 6% du PIB national. Pour y remédier, les efforts de l’Etat en matière d’amélioration des conditions de déplacement des populations s’inscrivent dans une dynamique de promotion de systèmes de mobilité verte, résiliente et inclusive, qui se matérialisent déjà à travers la mise en œuvre de projets structurants de transport de masse, notamment le TER, le BRT et la restructuration globale du réseau de transport en commun. Ces efforts seront consolidés et amplifiés à travers le Plan de Mobilité Urbaine Durable (PMUD) horizon 2035 du CETUD qui a retenu comme scénario « Transports Collectifs sur Site Propre pour une ville apaisée ».
__________________________________________________________________________________
L’agglomération de Dakar se développe rapidement et concentre près d’un quart de la population nationale, la moitié de la population urbaine, sur une proportion réduite du territoire national (0,3%).
Selon les projections démographiques, cette population, de 4 millions d’habitants actuellement, atteindra 7 millions en 2040, avec un doublement prévu des déplacements motorisés à cet horizon.
Par ailleurs, la forme géographique péninsulaire, accompagnée d’une urbanisation non maitrisée, entraîne des contraintes fortes sur la mobilité, même si une partie du réseau de voirie a été nettement améliorée ces dernières années. Malgré les efforts importants consentis par l’État, le réseau routier, fortement mis en tension aux heures de pointe avec des flux pendulaires, atteint ses limites de capacité alors que les déplacements motorisés, qui ne constituent que 30% des déplacements quotidiens, sont réalisés majoritairement en transport collectif.
Les Dakarois et les visiteurs le savent bien ! Les dysfonctionnements du système de transport engendrent des conséquences économiques, sociales et environnementales importantes. En effet, la dernière étude sur les externalités négatives des transports à Dakar, menée par le Conseil Exécutif des Transports urbains durables (CETUD) et la Banque mondiale, en 1998, chiffrait les pertes socioéconomiques à 8,2% du PIB de la région, soit 108 milliards de francs CFA par an.
Le CETUD, dans l’optique d’assurer une mobilité urbaine durable, a lancé, en 2021, une nouvelle étude, actualisant celle de 1998 afin d’évaluer les pertes socioéconomiques induites par les externalités négatives des transports à Dakar. Sur la base de cette étude, il est établi que l’économie sénégalaise perd annuellement 900 milliards de francs CFA du fait des dysfonctionnements induits par la pollution automobile, la congestion, l’insécurité routière et le bruit. Ces pertes correspondent à 6% du PIB national et 11% du PIB de la région de Dakar.
La pollution atmosphérique liée au trafic routier est l’externalité la plus coûteuse pour la collectivité avec 56% des pertes induites. Elle est suivie par la congestion qui contribue à 26% des nuisances et, dans une moindre mesure, par la sécurité routière et les émissions de gaz à effet de serre, qui représentent respectivement 10% et 7%, avant la contribution du bruit (1%).
Avec la mise en œuvre de la stratégie décennale du Plan Sénégal Emergent (PSE), adossée à la vision d’un Sénégal émergent à l’horizon 2035, un changement de paradigme s’est opéré ces dernières années, avec une priorité d’investissement sur des transports de masse plus adaptés à la construction d’une région capitale viable et vivable. Ainsi, dans une dynamique de contribution significative à la transformation urbaine et infrastructurelle et dans la perspective d’une économie inclusive et décarbonée, le Conseil Exécutif des Transports urbains durables (CETUD) articule concomitamment les objectifs de transition vers la mobilité collective, propre et intelligente. Le Train Express Régional, le BRT, la Restructuration du réseau de Transport en Commun de Dakar, le Plan de Mobilité Urbaine Durable horizon 2035, entre autres initiatives, s’inscrivent dans cette dynamique.
Une méthodologie robuste et un système de collecte des données innovant
L’étude a permis, d’une part, d’actualiser les valeurs tutélaires du transport, notamment la valeur du temps, la valeur d’un blessé par accident, la valeur d’une année de vie perdue, la valeur de la vie statistique et, d’autre part, d’adapter les facteurs d’émissions de polluants et de gaz à effet de serre au contexte du Sénégal.
L’enjeu autour de cette actualisation repose sur les opportunités qu’elle offre en termes de planification stratégique, d’outils d’analyses coûts-bénéfices et d’évaluations d’impact des projets, y compris les évaluations environnementales.
Plusieurs recueils de données ont été effectués, notamment des enquêtes trafics (comptages, temps de parcours et occupations visuelles), des mesures de pollution à l’air ambiant et à l’échappement et des mesures de bruit à l’aide de micro-capteurs. Cette collecte de données détaillées a permis la mise en œuvre d’une méthodologie robuste ayant conjugué la modélisation et des approches bottom-up et top-down (utilisé à des fins de bouclage).
Des enjeux de santé publique liés à la pollution de l’air
L’évaluation des impacts sanitaires et des coûts associés s’est appuyée sur la méthode développée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) à partir des données d’entrées locales. Le trafic routier est l’un des plus grands contributeurs aux émissions de polluants atmosphériques, avec des effets considérables sur la santé des populations et de l’environnement.
En effet, l’exploitation des résultats montrent que le trafic routier conduit à des dépassements significatifs des valeurs recommandées par l’OMS pour le dioxyde d’azote (NO2) et les particules de poussières (PM10 et PM2,5) sur toutes les zones du périmètre d’étude et, en particulier, à proximité des axes routiers.
En mobilisant la méthodologie utilisée par l’OMS, basée sur des fonctions d’exposition-risques intégrées (FIER), il a été possible d’estimer la charge de mortalité et de morbidité attribuable à la pollution de l’air.
Ainsi, l’externalité qui coûte le plus à la population dakaroise correspond aux effets de la pollution de l’air liée au transport sur la santé. Elle génère 56% des pertes économiques induites par le trafic automobile.
Ces impacts, dus principalement à la vétusté du parc automobile, privé comme public, ainsi qu’à la qualité du carburant, sur une population majoritairement jeune, sont majeurs en termes sanitaires avec des morts prématurés. La valorisation qui en découle en est la traduction directe.
Contribution du trafic routier aux concentrations moyennes annuelles de NO2 (à gauche) et PM10 (à droite) en 2021
Source : CETUD, Etude sur les externalités négatives du transport à Dakar – 2021
Un dakarois perd 40 heures par année du fait de la congestion
En dehors de la pollution de l’air, la congestion routière correspond à la deuxième externalité la plus importante. Les pertes économiques engendrées par la congestion sont évaluées à 235 milliards FCFA, soit 26% de l’ensemble des externalités négatives.
Au total, un dakarois perd en moyenne annuellement plus de 40 heures du fait de la congestion, ce qui correspond à une perte de temps globale de 156 millions d’heures par année. Ces pertes de temps ont plus que doublé durant la période 2015-2021. Le coût relatif au carburant perdu en période de congestion est estimé à environ 104 milliards de FCFA.
En analysant le taux de congestion, l’étude a montré qu’un tiers (34%) du temps de déplacement, sur l’ensemble de la journée, correspond à du temps perdu dans les embouteillages. Sur la base des profils horaires, le temps moyen perdu aux heures de pointe est globalement supérieur de l’ordre de 10% au temps moyen perdu sur la journée.
Carte d’affectation du modèle multimodal de Dakar, heure de pointe matin – taux de congestion
Source : CETUD, Etude sur les externalités négatives du transport à Dakar - 2021
Priorité à la mobilité collective et active en y intégrant une stratégie de transition énergétique et numérique
Plusieurs leviers pourraient permettre de réduire considérablement les externalités négatives du transport. Les efforts de l’Etat en matière d’amélioration des conditions de déplacement des populations s’inscrivent dans une dynamique de promotion de systèmes de mobilité verte, résiliente et inclusive, qui se matérialisent déjà à travers la mise en œuvre de projets structurants de transport de masse, notamment le TER, le BRT et la restructuration globale du réseau de transport en commun. Ces projets permettront à terme, d’une part, d’améliorer la qualité de services de transport en réduisant les temps de parcours et les externalités négatives et, d’autre part, d’accroitre le niveau de confort et de sécurité à bord des transports collectifs.
Dans cette perspective, le Plan de mobilité urbaine durable de Dakar (PMUD) prévoit, à l’horizon 2035, la construction d’une dizaine de lignes de transport collectif sur site propre (y compris le BRT et le TER). Ces futures lignes incluent des solutions de BRT et/ou des services par rail (tramway, train, métro, etc.). En outre, le développement de nouvelles alternatives, comme les modes actifs, viendra réduire les pressions liées à la croissance rapide de la demande de déplacements.
Des mesures importantes devront également être prises pour réduire la place du véhicule individuel, comme prévu dans la Loi n° 2020-25 du 3 juillet 2020 portant orientation et organisation des transports terrestres (LOTT). Ainsi, la première phase (2023-2026) du projet de Restructuration du réseau de Transports en Commun (RTC) porté par le CETUD ambitionne de développer un réseau de lignes de bus prioritaires qui viendront alimenter les deux axes capacitaires que sont le TER et le BRT. Au total, 14 lignes de bus d’une longueur totale de 222 km sur des infrastructures améliorées seront mises en service dans Dakar et sa banlieue. Il est prévu de transporter 440 000 passagers par jour avec l’exploitation de 400 bus modernes sobres en carbone. Le réseau RTC sera constitué, à terme, de 32 lignes permettant l’exploitation de 1000 bus avec une technologie gaz et électrique.
Par ailleurs, la réduction des externalités négatives du transport passe par la production d’une stratégie nationale de gestion des flux des poids lourds qui, généralement, ont des effets majeurs sur le trafic automobile des zones agglomérées (ralentissement de la circulation, insécurité routière).
Dans le même temps, les programmes de renouvellement du parc de transports publics, combinés au développement du transport ferroviaire desservant des pôles logistiques structurés permettront, sans doute, de réduire considérablement les externalités négatives liées au transport routier.
Dr . Thierno Birahim AW
Directeur général du CETUD
Président de l’Association Africaine des Autorités Organisatrices de la Mobilité Urbaine
Les rapports sont disponibles
⬇️